Cette vision se base notamment sur la reconnaissance d’une fonction active, et non pas uniquement passive, de la nature dans la régulation de l’environnement et suggère donc une remise en question plus poussée et audacieuse de la façon de concevoir et de gérer la cité.

Le végétal sous toutes ses formes : création d’ombrage avec des plantes grimpantes à Lyon.
L’évolution de l’offre et de la demande
Les études récentes consacrées à la fréquentation des espaces verts urbains et périurbains, ou cherchant à caractériser la demande sociale dans ce domaine, démontrent sans ambiguïté la complémentarité des différentes formes que peut prendre cette nature : ainsi, le micro-square de proximité, le jardin de quartier, la promenade paysagère, le grand parc et l’espace naturel périurbain ne sont pas en concurrence mais apparaissent, au contraire, comme les maillons complémentaires d’un réseau urbain de nature. Certes, ce réseau est encore souvent à compléter, à rendre véritablement lisible et fonctionnel, et c’est certainement un des enjeux majeurs de la planification urbaine. La place de la nature dans la ville devrait en fait reposer sur un double équilibre : l’équilibre entre les espaces construits et les espaces ouverts d’une part, puis sur l’équilibre minéral/végétal de ces espaces. La recherche de ce double équilibre n’est pas contradictoire avec l’objectif de «densité urbaine» postulé pour limiter l’étalement urbain. C’est en effet majoritairement en récupérant de l’espace cédé à l’automobile au XXe siècle qu’il sera possible de concevoir une ville conciliant qualité des déplacements et qualité de vie. Les perspectives actuelles, qu’il s’agisse de la progression des populations urbaines (le S.C.O.T. de l’agglomération lyonnaise prévoit par exemple une progression de plus de 200 000 habitants d’ici 2030), ou de l’augmentation de la taille des territoires urbanisés, nécessitent plus que jamais d’imaginer une ville où l’on peut vivre et satisfaire son besoin de nature. En effet pendant longtemps on a considéré que la nature étant aux portes de la ville, les efforts pour l’introduire en son centre pouvaient rester mesurés. Or comme ce changement de taille des territoires urbains se couple de nos jours avec le renchérissement des coûts de déplacements, l’accès à d’hypothétiques extérieurs naturels devient de plus en plus difficile. Cela impose donc de revoir l’offre de nature de proximité. Par ailleurs la gratuité et l’accessibilité de ces espaces publics “nature” pour les activités de détente comme de loisir familial ou sportif peuvent également être envisagées comme des facteurs non négligeables de paix sociale.
La recherche d’un équilibre entre minéral et végétal, perméable et imperméable sur le projet d’aménagement de la Porte des Alpes.
L’adaptation du végétal aux changements climatiques
Les prises de conscience actuelles sur les changements climatiques posent également la question du rapport entre la nature et la ville. L’analyse de cette problématique met clairement en évidence la nécessité d’anticiper dès aujourd’hui l’adaptation des palettes végétales. Certaines modélisations prospectives annoncent ainsi que le climat de Lyon en 2070 devrait s’apparenter à celui d’Alger aujourd’hui. Or si nous souhaitons planter des arbres durablement, il est désormais impératif de s’interroger sur la réalité des conditions climatiques qui accompagneront le développement de ces arbres. Devant les incertitudes qui demeurent cependant sur la manière dont s’opéreront ces changements climatiques, il convient néanmoins de rester prudent et de ne pas pousser trop loin l’anticipation. Le strict respect des exigences autécologiques des espèces devrait être un minimum à imposer pour le choix des essences dans les projets. Cette démarche pose cependant la question de nos connaissances encore très lacunaires sur le comportement et les exigences écologiques des espèces. Une observation plus rigoureuse de ces comportements, mais également une meilleure maitrise de la chaine de production des arbres d’ornement s’avère donc aujourd’hui indispensable. Cette maitrise de la production, outre la question de la traçabilité des procédures de culture, doit surtout tenter d’améliorer la connaissance des provenances et intégrer progressivement la prise en compte des écotypes, niveau souvent pertinent pour parler véritablement du potentiel d’adaptation d’une espèce.
L’arbre en ville et l’atténuation des pics de chaleur
En marge des ces interrogations, une autre causalité relie aujourd’hui la question de la place de la nature en ville avec celle du changement climatique : il s’agit de l’effet que le végétal peut directement produire sur le microclimat urbain. De nombreuses études ont en effet montré que le végétal joue le rôle d’un véritable climatiseur et peut contribuer à contrebalancer l’effet d’îlot de chaleur urbain qui accable les villes denses en été. Outre l’effet d’ombrage ou l’incidence sur la circulation des masses d’air, c’est surtout l’effet rafraichissant dû à l’évapotranspiration qui explique cette action. Dès lors l’introduction du végétal, en particulier des arbres dans la cité peut devenir un choix stratégique destiné à améliorer le confort thermique des habitants des villes en période de canicule. Au delà du simple aspect de confort, ce gain climatique apporté par le végétal peut également être apprécié comme un bénéfice à la fois social, économique et environnemental. Social si on se réfère aux risques de surmortalité liés aux canicules comme l’ont montré les conclusions des études sanitaires réalisées suite aux chaleurs de l’été 2003. économique si l’on considère qu’un ou deux degrés d’abaissement de la température permet d’économiser une quantité considérable d’énergie pour faire fonctionner des climatiseurs. Environnemental si on considère l’incidence que la production de cette énergie aurait eu sur notre milieu et notamment sur le climat par l’émission de gaz à effet de serre.Le choix du végétal ne doit plus uniquement constituer une solution de remplissage des vides interstitiels du tissu urbain, mais un choix délibéré, réfléchi et volontaire, un élément à part entière du projet urbain.
Le végétal et l’assainissement pluvial urbain
Le rapport à l’eau révèle également la fonction active qui peut être recherchée dans la stratégie d’introduction du végétal, en particulier de l’arbre en ville. Nous vivons sur les restes d’un modèle qui en cherchant à contrôler le cycle de l’eau a contribué à construire des territoires urbains artificialisés. La conception dominante depuis une cinquantaine d’années consistait en effet à rechercher l’imperméabilisation des sols, dimensionner par le calcul des réseaux de récupération des eaux pluviales pour les conduire vers des usines de traitement. A côté de cela, l’espace public, devenu quasiment désertique, imposait pour la création de surfaces végétalisées l’apport externe d’eau par des réseaux d’arrosages majoritairement alimentés par de l’eau potable ! Les paradoxes et les limites de ce modèle n’ont pourtant que récemment été admis. Dès lors la recherche de solutions alternatives d’assainissement pluvial a été encouragée, notamment par le maintien de proportions suffisantes de surfaces perméables. Dans ces conditions, le maintien ou le développement de surfaces végétalisées ou plantées répond à ce cahier des charges d’augmentation des surfaces perméables. Ainsi la recherche d’un équilibre des surfaces perméables et imperméables semble avoir une forte convergence avec la recherche d’un équilibre entre le minéral et le végétal. Cette convergence est d’autant plus légitime que les surfaces végétalisées ne se contentent pas d’être de simples surfaces drainantes, les plantes, en particulier les arbres, peuvent en effet jouer un rôle actif de pompe. La plantation de pins au XIXème siècle dans les marécages des landes de Gascogne revêtait avant tout un objectif d’assainissement. On considère ainsi qu’une toiture végétalisée peut autoconsommer entre 40 et 60 % de l’eau pluviale incidente. Convergence d’autant plus fructueuse que cette consommation d’eau, qui autorise l’évapotranspiration est donc directement reliée à l’efficacité climatique du végétal. Enfin dans cette relation à l’eau, il ne faut pas non plus perdre de vue le rôle actif de la végétation dans la tenue des talus et des terrains en pentes, limitant ainsi les risques d’érosion, de glissements de terrains ou les coulées de boue. D’autres bénéfices environnementaux s’ajoutent bien évidemment aux plus-values sur le climat ou la gestion des eaux, citons notamment la corrélation entre la stratégie végétale et la biodiversité en ville ou encore les fonctions filtrantes, voire dépolluantes que les plantes peuvent apporter pour assainir l’air (métabolisation de polluants atmosphériques, fixation de poussières, contrôle des micro-organismes…).Ville et nature, une contradiction ?
Souvent considérées comme artificielles, les villes semblent incompatibles avec la nature. Pourtant, sous la couche de béton, de verre et d’acier, la faune et la flore investissent le milieu urbain sous des formes multiples. Il existe deux sortes de nature en ville. La première est domestiquée, contrôlée par l’homme. Implantée dans les parcs et jardins, elle prend la forme de massifs ou de gazons. Soumise aux besoins des usagers, elle présente souvent une diversité restreinte. L’autre, plus “sauvage”, indépendante de la volonté humaine, est adaptée aux conditions urbaines. Bien plus importante qu’il n’y parait, elle colonise la ville dans ses moindres recoins. A l’inverse de ce que l’on pourrait penser, ville et biodiversité ne sont pas forcément contradictoires. Ainsi, contre toute attente et malgré leur artificialisation, les zones urbaines sont bien plus riches que les zones agricoles modernes. En effet, dans les sites très cultivés, les refuges se résument souvent à des lanières au bord des bosquets, des cours d’eau ou en périphérie des villages. En outre, le milieu urbain accueille de nombreuses espèces menacées, figurant sur les “listes rouges”. La ville engendre un biotope particulier où le béton, la pierre et l’enrobé forment des zones rocheuses. Les maisons, les murs et les immeubles dessinent des vallées. Dans cet environnement minéral, les conditions spécifiques permettent l’accueil d’espèces variées. La nature a la capacité de se nicher dans les moindres recoins, dans les moindres infractuosités. En centre ville, un simple mur de lierre peut constituer le départ d’une chaîne alimentaire.Végétal et stratégie d’urbanisme
Tous ces rôles actifs justifient que le végétal soit désormais véritablement intégré dans les stratégies de développement urbain ainsi que dans les orientations en matière d’urbanisme. Cela signifie que le choix du végétal ne doit plus uniquement constituer une solution de remplissage des vides interstitiels du tissu urbain, mais un choix délibéré, réfléchi et volontaire, un élément à part entière du projet urbain. Dès lors, cette volonté peut s’exprimer à toutes les échelles de la conception de la ville : Schéma de Cohérence Territoriale pour le maintien d’une trame verte cohérente et le respect des grands équilibres écologiques (continuités naturelles, corridors écologiques, actions en faveur de la biodiversité, rééquilibrage territorial de l’accessibilité des espaces de nature…), Plans Locaux d’Urbanisme pour la déclinaison fine des équilibres minéral/ végétal et des zones perméables/ imperméables tant sur le domaine public que sur le domaine privé, programmes d’aménagement par la définition d’objectifs paysagers tant quantitatifs que qualitatifs, mais également par l’encouragement de la prise en compte du végétal comme élément de l’architecture (murs et toitures végétalisées). C’est donc le végétal sous toutes ses formes et pour ses différentes fonctions qu’il nous est donné d’envisager dans la conception d’une ville- nature. Cette évolution ne revient pas pour autant à créer un modèle luxueux et couteux totalement utopique dans la conjoncture économique actuelle. Au contraire, une analyse fine des bénéfices et des économies générées par ce modèle en fait un choix particulièrement exemplaire car il est en capacité de répondre de manière pertinente et équilibrée aux exigences du développement durable.