Difficile pour les habitants de cette commune de Meurthe-et-Moselle, qui se seraient absentés pendant toute la durée des travaux, de reconnaître l’endroit : ce qui n’était qu’un parking en enrobé, où stationnait près d’une centaine de voitures le long de l’avenue de Saintignon et d’un espace vert sans âme, est aujourd’hui un cours d’eau bien visible et la scène d’un amphithéâtre organisé en gradins végétalisés.
Un peu d’histoire
Tout commence au début du siècle dernier, lorsque le comte de Saintignon fait procéder à des forages autour du futur parc des Récollets pour trouver des filons de houille. Un échec. Cependant, l’industriel trouva une autre ressource à laquelle il ne s’attendait pas : l’eau des Récollets, avérée très qualitative et réputée pour ses vertus médicinales. C’est alors qu’il décida de créer un ensemble thermal et d’embouteillage. Mais la Première Guerre mondiale et le décès du comte en 1921 sonnent la fin du projet. La Ville acquiert l’ensemble des installations et aménagements, puis transforme, revend ou morcelle ses composantes.Avec le temps, le Grand Hôtel devient l’Hôtel de Ville de Longwy, l’établissement thermal est transformé en hôtel-restaurant et une rivière à ciel ouvert – la Chiers – est canalisée sous un parking de 90 places ; cela marque la rupture entre la ville et son patrimoine naturel. Seul héritage originel : un parc de 2 ha, distingué par un mail historique menant à une rotonde, des petits bassins successifs qui acheminent l’eau des Récollets en direction d’une retenue, et quelques arbres en bouquets.
Restauration et renaturation
Dans les années 2010, des contrôles révèlent la fragilité structurelle de l’ouvrage de canalisation et du parking en surface, un appauvrissement des continuités écologiques, un risque de crue avéré grandissant, ainsi qu’une baisse constatée de la qualité des écoulements. En co-maîtrise d’ouvrage, la Ville de Longwy et l’Agglomération du Grand Longwy décident d’agir rapidement et de procéder à des travaux d’envergure. Aux commandes du chantier, suite à un appel d’offres : le bureau d’études Ingérop (mandataire) et l’agence AM Paysagistes. Nicolas Destrumelle, paysagiste concepteur de l’agence, insiste : “Pour conjuguer à la fois des enjeux sécuritaires, écologiques, environnementaux, mais aussi patrimoniaux et historiques, il ne s’agissait pas seulement de supprimer l’ouvrage et le parking, mais aussi de révéler la rivière à ciel ouvert, de renaturer ses berges et de rétablir un dialogue entre la ville et le parc.”
Le chantier s’est déroulé en plusieurs phases : démolition du parking et de l’ouvrage, puis reconstruction des nouveaux ouvrages pendant plus d’un an et demi, réaménagement du lit de la rivière et de sa berge, réaménagement de l’avenue de Saintignon et requalification de la partie basse du Parc des Récollets avec la création d’un amphithéâtre de verdure ouvert sur la rivière. “Un des moments les plus délicats a été de faire accepter à la Ville que le nombre de places de parking passerait de 90 à moins de 20”, souligne le paysagiste concepteur.
Palplanches, gabions et muret matricé
Après terrassement sur près de 180 ml et la ré-ouverture de la rivière, dont le cours a été détourné par des palplanches et digues pour assurer la tenue des travaux mais aussi la continuité de l’écoulement de l’eau, l’entreprise Berthold a construit un mur de soutènement béton doublé par un habillage en gabions de 4 m de haut entre l’avenue de Saintignon (ici à gauche) et le lit de la Chiers, ainsi que le long des retours d’ouvrages dans le Parc. Les gabions, remplis de pierres calcaires à l’image du lit de rivière reconstitué, reposent sur une semelle en béton de 3 m de large, elle-même coulée au-dessus de dizaines pieux d’acier de plusieurs mètres de long pour stabiliser l’ouvrage jusqu’à une strate rocheuse. “Les deux derniers mètres du mur, atteignant le niveau de l’avenue de Saintignon et visibles depuis le parc, ont été traités avec un matriçage du béton à effet pierre”, précise Nicolas Destrumelle. Il poursuit : “Entre les gabions et le mur de soutènement en béton, sur 50 cm de large, les gabions n'ont pas été remplis de pierres, mais de terre végétale ‘allégée’, c’est-à-dire soufflée mécaniquement pour réduire sa densité et diminuer ainsi le poids de l’ouvrage. Cette terre est ainsi le support de nombreux végétaux.” Sur l’avenue de Saintignon, les places de stationnement, désormais parallèles à la circulation, ont été recouvertes de pavés drainants en béton (Kann). Les circulations piétonnes, bordées de jardinières rehaussées en acier Corten, ont quant à elles été dallées à joints décalés par des modules en béton grenaillé (Birkenmeier) avec un calepinage en trois teintes. On retrouve ces mêmes dalles, avec un calepinage différent, sur le belvédère tourné vers la rivière et le parc des Récollets. Par sécurité, des garde-corps sur-mesure, à barreaudages droits et à barreaudages de “guingois” dont les motifs sont identiques à ceux de la Place Leclerc à Longwy, ont été fixés en tête du mur de soutènement sur le muret en béton.
Création d’un amphithéâtre
Sur l’autre rive, en-dessous du mail historique, l’entreprise Eurovia s’est chargée de positionner près d’un kilomètre d’éléments en béton, fabriqués sur-mesure par la société Kann, de manière à créer des lignes courbes surélevées du sol et inscrites dans une pente. L’idée ? Former des gradins, sur lesquels s’assoir, profiter et partager un moment en famille et contempler la rivière. “Au global, plus de 3 000 m3 de terre végétale provenant du site et de la région ont été acheminés pour combler, sur au moins 50 cm d’épaisseur, chaque emmarchement et permettre la végétalisation du parc”, ajoute Nicolas Destrumelle. Au milieu des gradins, dans l’axe du belvédère situé de l’autre côté de la Chiers, des blocs taillés dans du calcaire assurent le retour de l’eau depuis le parc, où la source émerge via des petites cascades, jusqu’à la rivière. Sur les berges et à proximité, des cordons d’enrochement composés de blocs de quelques kilogrammes à plusieurs tonnes sur 1 m à 1,50m d’épaisseur, ont été mises en œuvre. “Ces aménagements stabilisent les berges, retiennent la terre et ont aussi un rôle dissuasif pour ceux qui seraient tentés de circuler trop près de la rivière”, indique le paysagiste concepteur, qui rappelle que la Chiers peut toujours monter en crue de manière imprévisible.

Aperçu des berges et des gradins végétalisés par l’entreprise SAS Albert Keip Parcs et Jardins.
Végétalisation
Les gradins (ainsi que l’avenue de Saintignon et l’ensemble du site) ont été végétalisés par l’entreprise SAS Albert Keip Parcs et Jardins. Les paysagistes ont planté pas moins de 90 arbres (aulnes, saules, chênes, pins...), dans des fosses adaptées (pour certaines habillées de pare-racines pour protéger les fondations, réseaux et autres ouvrages enterrés), plus de 15 000 arbustes et vivaces de milieux secs et humides (Stipa, Gaura, Carex, iris...) et semé des prairies naturelles et fleuries. “Les arbres sélectionnés proviennent de pépinières à faible distance (Ubben en Allemagne et Gissinger en Alsace, ndlr) où les conditions pédo-climatiques sont similaires à celles de de Longwy”, précise le paysagiste concepteur. Tous les autres végétaux proviennent de pépinières locales de part et d’autre de la frontière. Point délicat du chantier, raconté par Thomas Stuber, conducteur de travaux pour l’entreprise de paysage SAS Albert Keip Parcs et Jardins: l’acheminement et la plantation des arbres sur les gradins. “La disposition des gradins a empêché la circulation des engins. Malgré tout, nous avons mobilisé une mini pelle d’une portée de 5 m afin que son bras positionne les arbres au plus près des fosses de plantation (creusées manuellement). Puis, après avoir disposé des plaques de répartition en composite sur chaque emmarchement en béton, nous avons fait glisser les mottes de gradin en gradin jusqu’aux fosses les plus proches des berges. Chaque arbre a été tuteuré à l’allemande, autrement dit avec trois piquets inclinés en châtaignier espacés de 70 à 80 cm à l’embase et rapprochés de 50 cm au sommet. Cette méthode de tuteurage, qui crée au final trois faces triangulaires, stabilise parfaitement les arbres. Enfin, après les plantations, les fosses ont été enrichies en surface avec des amendements (compost et engrais organiques).” Depuis la fin des travaux de plantation au printemps dernier, les berges de la Chiers ont retrouvé leur identité. L’eau et la nature sont de retour à Longwy !
Un projet
qui favorise l’infiltration directe
Avant travaux
• revêtements enrobés/asphalte sur l’avenue de Saintignon et trottoirs ;
• espaces verts et surfaces perméables uniquement dans le parc ;
8 400m² de surfaces imperméables (57 %) ;
1 500 m² de surfaces semi-perméables (10 %) ;
4 800 m² de surfaces perméables (33 %).
Après travaux
• revêtement enrobé uniquement sur la chaussée circulée ;
• revêtements infiltrants ou semi-infiltrants ;
• espaces verts et surfaces perméables dans le parc et sur l’avenue ;
• plantation de 90 arbres et plus de 15 000 arbustes et vivaces (sans arrosage automatique) ;
2 700 m² de surfaces imperméables (18 %) ;
3 800 m² de surfaces semi-perméables (26 %) ;
8 200 m² de surfaces perméables (56 %).